Éric Moussambani en 100 m nage libre aux jeux olympiques de Sydney
Nous sommes le 19 septembre 2000 à Sydney. Les jeux olympiques d’été battent leur plein.
Les trois derniers candidats des séries du 100 mètres nage libre se préparent à monter sur les plots de la piscine de Homebush Bay. La scène, dès le départ, adopte des tournures assez cocasses, puisque cinq des huit lignes d’eau sont inoccupées. Parmi les trois candidats, l’un, d’emblée, se distingue. Si les deux premiers ont revêtu les réglementaires combinaisons et bonnets, le troisième, Éric Moussambani, représentant la Guinée-équatoriale, porte un slip de bain des plus modestes (dont le cordon, par ailleurs, pend négligemment sur le devant puisqu’il n’a pas été correctement attaché), des lunettes à bas prix ajustées sur son front et court tête nue. Autant dire qu’il cumule les traits distinctifs de l’amateur. Le départ est donné. Deux candidats plongent – Moussambani reste figé sur son plot – mais ils sont immédiatement rappelés aux ordres car ils ont commis un faux départ.
La sanction tombe, ils sont éliminés. Éric Moussabani s’élance donc seul.
Débute alors une véritable épopée sur 100 mètres. Très rapidement, on s’aperçoit en effet que ce compétiteur de Guinée-Équatoriale est réellement un amateur ; sa technique est des plus approximatives, ses mouvements des pieds et des bras sont désynchronisés, il nage la tête hors de l’eau.
La foule exulte, debout, dans un stade où des sentiments confus s’entremêlent, entre éclats de rire et applaudissements, devant ce concurrent dont le premier exploit est, apparemment, de ne pas avoir coulé. Son succès public est immédiat, les télévisions se le disputent, on loue les vertus de l’olympisme, l’abnégation et le courage de ce nageur incompétent qui a frôlé l’épuisement ou la noyade – mais aussi, et non sans condescendance, sa simplicité et sa naïveté.
Il a créé (et non pas battu) deux records olympiques en même temps et de surcroît absolument contradictoires : celui du 100 mètres nage libre le plus lent de l’histoire des jeux olympiques modernes, et celui du 100 mètres nage libre olympique le plus rapide de l’histoire de son pays.
Cette vertigineuse inversion de la valeur des temps, cet incroyable renversement qu’il opère rend sidérante, et burlesque sa performance. Moussambani, s’il ne sait pas nager vite, par le bénéfice de ce double record, transforme son incompétence en savoir faire absolu. L’essentiel est de participer, d’autant plus si l’on n’a rien à y faire ou si on ne vous l’a pas demandé.
Le principe de l’invité surprise devenant le grain de sable qui enraye la machine en son entier tient bien dans cette formule améliorée (on pense à Peter Sellers dans The Party). C’est celle du trop-plein dans le nombre (qui s’applique aussi bien aux règles du sport qu’à celles de la bienséance sociale), lorsqu’elle se manifeste par un excès du non-savoir dans le savoir, et qu’elle introduit par conséquent une logique dans une autre.
Extrait de l’introduction au numéro spécial d’Artpress consacré au burlesque, écrit par Christophe Kihm